dimanche 27 mars 2011

Le chant du coucou - Haïkus pour Santiago


« Qu'importe que je marche
poussé par le vent ou la foi
j'avance. »
                                                                                 A.L.


Le chant du coucou - Haïkus pour Santiago
André Lebeau
Éditions du Vermillon, mars 2011
 
Dans mon premier billet, le 12 janvier 2011, je vous révélais que l'idée d'écrire ce blogue m'était venue à la suite de l'annonce de la publication de mon premier livre, un recueil de haïkus écrits sur le Camino Francés. Eh bien! c'est maintenant chose faite. Il sera officiellement lancé au Salon international du livre de Québec qui se tiendra du 13 au 17 avril prochain.

Je suis très fier de poser cette borne sur un Chemin qui a commencé à se dessiner sous mes pas au printemps 2006 et qui se prolonge dans l'espace infini d'un champ d'étoiles.

La publication de ce livre est aussi la raison pour laquelle je me suis fait discret, pour ne pas dire absent, sur mon blogue au cours des dernières semaines. Le travail de révision du manuscrit et de la couverture avec la maison d'édition a retenu toute mon attention.

Instants-poèmes captés sur le vif, ces haïkus témoignent de la marche au long cours sur le mythique Chemin de Compostelle où, à l'instar de nombre de pèlerins, j'ai contemplé les beautés de la faune et de la flore, me suis émerveillé de ce que la nature apporte en nourritures terrestres, et me suis interrogé sur le sens de la vie. Tout au long de cette quête, le chant du coucou a agi comme un leitmotiv, une exhortation à vivre et à saisir le moment présent.

Passionné de voyages et de photographie, c'est en parlant de poésie sur le Camino Francés avec mon compagnon de vie, Denis Payette, poète et professeur de littérature, que m'est venue l’idée d’écrire un recueil de haïkus. Fortement marqué par mon passage à l’atelier de Micheline Beauchemin, dans les années 1980, dont l’œuvre est inspirée par la lumière et la nature, le haïku m'est apparu comme le moyen d’expression tout désigné pour témoigner du moment présent, à la manière d’une photographie.

Sur un carré de papier tombé là par hasard... dans la lumière papillotante du jour, j'ai déposé mon regard. Sur un carré de papier tombé là par hasard... dans le souffle matutinal de l'aube mauve, j'ai déposé ma main et j'ai écrit mon premier haïku.


dimanche 13 février 2011

Poésie pastorale

« Un peu plus haut, un peu plus loin*
Je veux aller un peu plus loin
Je veux voir comment c'est, là-haut
Garde mon bras et tiens ma main »
                                                                  Jean-Pierre Ferland


7 h à l'horloge de la porte Notre-Dame,
Saint-Jean-Pied-de-Port, France
(photo : André Lebeau, 21 mai 2006)
Le dimanche 21 mai 2006. Il est 7 h à l’horloge de la tour de la porte Notre-Dame, curieusement ouverte dans le clocher de l'église de l’Assomption-de-la-Vierge – anciennement Notre-Dame du bout du pont. D'un côté, la rue de la Citadelle, où Adeline, la veuve noire, vient de refermer sa porte derrière nous. De l'autre, le pont Notre-Dame qui enjambe la Nive de Béhérobie que nous traverserons sous peu.

Beaucoup de pèlerins anticipent cette étape réputée difficile. Certains, pour couper l’étape qui les mènera à Roncevaux, dormiront au refuge d’Orisson, ou à Honto, une heure ou deux en amont. D’autres partiront de Navarrenx, d’Aroue ou d’Ostabat, en aval, quelques jours plus tôt, pour se faire les jambes avant la grande traversée. Nous, nous y sommes allés à froid, directement de Saint-Jean-Pied-de-Port, confiants que notre entraînement avait été adéquat.

Nous sommes entrés dans l’église, mais je n’en garde aucun souvenir particulier. Une messe allait débuter, je crois. Notre pèlerinage n’était pas religieux, et nous avions hâte de partir à l’aventure, hâte surtout de franchir cette étape.

Dès le premier kilomètre, je me rappelle avoir dit à Denis : « Regarde, il y a un autre pèlerin, là, un peu plus haut, et deux autres là-bas, et là-bas encore… » Je n’en voyais pas moins de dix, d’un seul regard. Nous qui pensions nous retrouver seuls sur ce Chemin, ou presque, nous commencions à réaliser que nous avions été bien naïfs. Mais peu importait, nous nous sommes dit – tout aussi naïvement – que tous ces gens n’allaient pas nécessairement au même refuge que nous.

Manechs à tête noire, Pyrénées-Atlantiques, France
(photo : André Lebeau, 21 mai 2006)
Nous avons fait une première halte au refuge/restaurant d’Orisson, près de Honto, pour prendre un troisième café au lait et manger un bout de baguette. Au milieu de la matinée, des paysans étaient assis au comptoir et prenaient un verre en discutant entre eux, en basque. Ils riaient bruyamment. Le propriétaire nous a dit, en français : « Ici, ce n’est pas le Crédit Agricole qui importe, sinon le crédit qui picole. » Et il a éclaté d’un grand rire avant de nous souhaiter bonne route.

Une heure de marche plus loin, un troupeau de Manechs à tête noire paissait librement dans les montagnes du Pays basque. Nous nous sommes arrêtés longuement pour profiter de cet instant de pure poésie pastorale. D’autres troupeaux tout aussi libres paissaient çà et là, regardant les pèlerins passer, comme les vaches les trains. Un peu plus loin, un troupeau de chevaux « sauvages », sans pasteur ni enclos, broutait aussi l’herbe tendre.

Chevaux en liberté, Pyrénées-Atlantiques, France
(photo : André Lebeau, 21 mai 2006)
Nous avons fait halte à mi-chemin pour la pause repas, aux pieds de la Vierge de Biakorri, dite injustement d’Orisson. Si la Vierge et l’Enfant, comme les moutons et les chevaux, semblaient paisibles, le vent, lui, était furieux. Nous avancions avec peine depuis déjà plusieurs heures, littéralement pliés en deux pour ne pas perdre pied. Une pèlerine a vu ses lunettes s’envoler de son visage, sous l’effet d’une bourrasque particulièrement violente. Un pèlerin les a ramassées dix mètres plus loin et les lui a rapportées, un peu amochées. Denis et moi avons reçu la salive visqueuse des moutons en plein visage, transportée par un vent impétueux, tandis que la Vierge et l’Enfant demeuraient impassibles.

Vierge de Biakorri (dite à tort d'Orisson)
Pyrénées-Atlantiques, France
(photo : André Lebeau, 21 mai 2006)
La suite du parcours, jusqu’au faîte, s’est déroulée dans les mêmes conditions. Peu habitués à la randonnée en montagne, nous avons cru plus d’une fois avoir atteint le sommet, mais ce n’était qu’illusion. À chaque détour, la montagne se révélait à nous dans toute sa splendeur, toujours plus haute, plus escarpée.

Ce n’est qu’à l’approche de la frontière France-Espagne – une simple guérite toujours ouverte –, en empruntant le col de Roncevaux, que le vent est tombé. L’épreuve du vent était derrière nous, mais une autre nous attendait. Comme on sait, tout ce qui monte redescend, et la descente qui se présentait à nous semblait hasardeuse, à travers une forêt, sur un sentier abrupt et rocailleux. Quoique ce sentier soit emprunté par nombre de pèlerins pressés d’atteindre Roncevaux après une si longue traversée, nous avons préféré la route longue, celle qui serpente plus doucement ce versant de la montagne.

Nous sommes arrivés à la collégiale royale de Roncevaux en fin d’après-midi. L’accueil n’ouvrait qu’une heure plus tard, la salle d’attente était déjà pleine à craquer; nous devions attendre dehors, avec bon nombre d’autres pèlerins fatigués, gelés, affamés et fort impatients.

* Lien vers le clip de Ginette Reno (1975) : Un peu plus haut, un peu plus loin
  Paroles et musique : Jean-Pierre Ferland

samedi 12 février 2011

Les confidences de la veuve noire

« Les fleurs des champs sont les yeux d’un Dieu aveugle
tourné vers nous de toute sa bienveillance. »
                                                                          Christian Bobin

Entre Nájera et Santo Domingo de la Calzada, Espagne
(photo : André Lebeau, 29 mai 2006)
Dès qu’elle nous eût servi notre deuxième bol de café au lait, Adeline, une veuve à la peau couleur de notre café, s’est assise devant nous, nous a souri et nous a dit, sans préambule : « C’étaient des Allemands ces trois-là, et moi, je n’aime pas les Allemands! Ils nous ont trop fait souffrir pendant l’occupation. »

Adeline parlait bien sûr de la Seconde Guerre Mondiale. Elle devait être enfant en ce temps-là, tout au plus adolescente. Nous ne savions trop comment réagir, nous qui partions sur le Chemin de Compostelle dans le but de réfléchir sur nos valeurs, cette simple remarque lancée sur un ton cinglant nous laissait perplexes. Puis elle nous a parlé un peu de sa jeunesse difficile, de ce qu’était son quotidien pendant l’occupation, de la privation, de la peur, de la haine aussi.

Notre perplexité s’est peu à peu transformée en compassion. Sans adhérer à ses propos contre les Allemands, nous l’écoutions sans juger. Adeline avait été gravement blessée durant la guerre, et plus de soixante ans plus tard, cette blessure de guerre n’était toujours pas cicatrisée.

Aujourd’hui, lorsqu’Adeline se promène sur les sentiers de la France paysanne, à l’instar de tous les autres blessés de guerre, des blessés de la vie, aussi, sa blessure encore vive ne cesse de saigner. Puis, le vent en éparpille les gouttelettes aux abords de la route et dans les champs d’orge dorée, tandis que la lumière du jour les sèche pour en faire de jolis coquelicots, fragiles comme l’amour, fragiles comme la vie.

Mai est propice à la marche au long cours pour les blessés de la vie sur le Chemin de Compostelle, de Saint-Jean-Pied-de-Port à Saint-Jacques. Quoiqu’Adeline n’approuvait pas notre pèlerinage – elle se demandait pourquoi tant de gens le faisaient, nous recommandant même de ne pas partir –, elle a voyagé avec nous, en pensée, du premier au dernier jour. Elle a beaucoup souffert, mais je crois qu’elle va mieux maintenant.

mercredi 9 février 2011

Adeline


Saint-Jean-Pied-de-Port sur la Nive de Béhérobie, France
(photo : André Lebeau, 21 mail 2006)
Rue de la Citadelle, Adeline est venue nous ouvrir avec le sourire. Nous nous sommes présentés et le charme québécois a une fois de plus fait son œuvre : au pas de la porte, nous étions déjà des hôtes privilégiés.

Trois autres pèlerins étaient déjà là. Après les formalités d’usage, Adeline nous a demandé de nous déchausser avant de nous conduire tous les cinq à l’étage. Je me souviens de la brillance et de la réconfortante odeur des parquets et des escaliers cirés, comme chez ma grand-mère lorsque j’étais enfant. Adeline, comme Véronique, devait passer beaucoup de temps à les astiquer. Les installations sanitaires étaient au premier, attenantes à une terrasse où nous pouvions laver et étendre nos vêtements – c’est là le lot quotidien des pèlerins : laver les vêtements du jour sitôt arrivés au gîte d’étape afin qu’ils soient secs avant le lendemain matin. Nous avions de là une très belle vue en hauteur sur le jardin fleuri de la propriété et sur la ville.

Adeline nous a ensuite conduits au second étage, puis au troisième, là où se trouvaient les chambres d’hôtes. C’était une immense maison. Nous sommes finalement arrivés sous les combles. Il n’y avait là plus aucune trace du charme et de la noblesse du décor et des parquets cirés des étages inférieurs. Six lits à une place étaient répartis dans un espace malgré tout assez exigu. Moi qui ai le sommeil léger et qui rêvais d’une nuit réparatrice, je craignais déjà que nos compagnons de fortune – ou d’infortune – soient des ronfleurs qui m’empêcheraient de dormir sur mes deux oreilles.

En montant, nous avions bien vu d’autres chambres vides beaucoup plus intéressantes, mais ce n’était pas à nous de décider où nous allions dormir. Les autres chambres n’étaient peut-être pas destinées aux pèlerins qui sont hébergés pour environ 10 € la nuit. Adeline a assigné les lits du fond de la pièce à nos trois comparses. « Couvre-feu à 21 h », a-t-elle dit. Puis, se tournant vers nous, elle a souri et nous a demandé de la suivre à l’étage en dessous où elle nous a conduits dans une chambre privée joliment décorée et avec un seul lit à deux places. Adeline avait compris que Denis et moi formions un couple, québécois de surcroît, et nous démontrait son ouverture en nous offrant sa plus belle chambre.

Nous avons lavé nos vêtements, fait notre toilette, et sommes sortis manger au restaurant. Couvre-feu oblige, nous n’avions pas beaucoup de temps, et souhaitions nous mettre au lit le plus tôt possible en prévision de la traversée des Pyrénées. Au retour, nous avons un peu parlé avec Adeline et elle nous a offert de nous réveiller à 6 h le lendemain matin. Je me suis imaginé Adeline entrant dans notre chambre à l'aurore, mettant doucement la main sur mon épaule pour me réveiller. Adeline avait l’attention d’une mère ou d’une grand-mère.

À 6 h, Adeline a frappé à notre porte et s’est assuré que nous étions bien réveillés avant de repartir à la cuisine. Nos trois compagnons étaient déjà à table en train de manger des tartines avec beurre et confiture. Adeline nous a demandé ce que nous préférions : thé, café noir, café au lait ou chocolat chaud. Nous avons répondu presque à l’unisson « café au lait s.v.p. » Elle se tenait debout, au bout de la table, la baguette dans une main et un couteau dans l’autre. Au fur et à mesure que nous mangions, Adeline coupait du revers de la main, comme on coupe un quartier de pomme pour le manger sur le pouce, des tranches de la baguette de la veille et les lançait dans la corbeille au milieu de la table comme on lance du pain aux oiseaux. Nous avions faim et elle nous nourrissait.

Les trois autres pèlerins sont partis rapidement, très tôt. Adeline nous a servi un deuxième café au lait et s’est assise avec nous. Le temps des confidences était venu.


mardi 8 février 2011

La veuve noire

Rue de la Citadelle, Saint-Jean-Pied-de-Port, France
(photo : André Lebeau)
Enfin! Après ce long préambule de onze billets pour vous raconter la genèse et la préparation de notre voyage, nous voici enfin à Saint-Jean-Pied-de-Port.

Départ de Montréal le vendredi 19 mai à 18 h, 7 heures de vol, 6 heures de décalage, arrivée à Biarritz le samedi 20 mai à 7 h. Au comptoir d’information de l’aéroport, nous demandons comment nous rendre à Saint-Jean-Pied-de-Port. En ce samedi ensoleillé, deux options s’offrent à nous : 1. l’autobus jusqu’à Bayonne, puis le train jusqu’à notre destination finale. Seul petit hic, nous n’arriverons pas à destination avant 16 h ou 17 h, alors que nous comptions arriver plus tôt et nous reposer, après une nuit presque sans sommeil dans l’avion, en prévision de la traversée des Pyrénées le lendemain matin, une étape réputée difficile. 2. « Combien coûte le trajet en taxi? » demandons-nous. « Difficile à dire, mais certainement pas moins de cent z’euros ». J’ai souri intérieurement. Une Française faisait la même erreur que la majorité des Québécois en ajoutant un s à cent.

Nous avons finalement attendu l’autobus pendant un peu plus d’une heure, en profitant du soleil qui nous fait tant défaut au Québec à cette période de l’année. Une fois arrivés à Bayonne, vers midi, nous achetons nos billets de train. Le prochain départ est prévu pour 15 h 30; nous avons deux ou trois heures devant nous. Sur une terrasse près de la gare, nous commandons deux cafés et deux sandwichs au… devinez quoi? Au jambon de Bayonne, bien sûr! Exotique et délicieux. Puis nous faisons quelques pas dans les environs. Denis est déjà venu en Europe à quelques reprises, mais c’est ma première fois. Je suis enchanté par la beauté de l’architecture. Denis me confirme que ça ressemble à Paris. Je suis dès lors amoureux de la France, d’un amour indéfectible, encore aujourd’hui : j’aime la France, j’aime les Français, j’aime les Françaises.

Denis a dormi dans le train, tandis que je mangeais le paysage des yeux durant l’heure ou l’heure et demie qu’a duré le trajet : un teuf-teuf ferroviaire qui roule à la vitesse d’un chauffeur du dimanche en s’arrêtant dans les neuf petites gares de village qui séparent Bayonne de Saint-Jean-Pied-de-Port. Charmant. Nous y voici enfin! Le chef de gare, aussi français que dans les plus beaux films mettant en vedette Fernandel, avec son képi et son accent, nous indique le chemin pour nous rendre à pied dans l’enceinte fortifiée de la vieille partie de la ville. Les pèlerins, il en a vu plus d’un et il sait vers où les diriger : l’accueil des pèlerins, 39 rue de la Citadelle.

On nous accueille avec le sourire et on nous demande d’où l’on vient. « De Montréal », répond-on avec notre accent bien de chez nous – en reconnaissant qu’ici, c’est nous qui en avons un. Il n’en fallait pas plus pour que notre hôte redouble d’intérêt à notre égard et clame à un confrère bénévole un peu plus loin : « Regarde, Maurice, nous avons de la grande visite du Québec, des cousins d’Amérique. » Sans blague, ces Français nous aiment, et ça se sent au premier abord. Il suffit que l’on parle pour que l’on nous aime – pour autant que l’on soit aimable, bien sûr.

Après nous avoir vendu notre « crédentiale » pour la modique somme de 1 €, notre carnet de pèlerin qui nous permettra d’être hébergés dans les refuges et d’obtenir notre accréditation de pèlerin de Compostelle, nos deux hôtes ont discuté pour nous trouver le meilleur gîte qui soit, comme si le fait d’être Québécois nous conférait un privilège. Il y avait bien quelques endroits où l’on aurait souhaité nous caser, mais ils affichaient déjà complet; nous arrivions relativement tard pour le choix des gîtes. Puis, comme s’il avait eu un éclair de génie, Maurice a dit : « Chez la veuve noire, qu’en dis-tu? » « Mais bien sûr! la veuve noire, c’est parfait pour eux. » Je ne savais plus si c’était un privilège ou une blague, voire un mauvais tour, mais nous avions hâte de nous reposer. Et puis, des bénévoles sur le Chemin de Compostelle ne pouvaient pas être mal intentionnés.

Et chez la veuve noire nous sommes allés!


vendredi 4 février 2011

Des pieds bien marinés!

Va-nu-pieds, Église Santiago, Puente la Reina, Espagne
(photo: André Lebeau, 25 mai 2006)
Quand on se prépare à marcher un peu plus de 800 kilomètres en 32 jours, soit une moyenne de 25 km quotidiennement, et que l’on n’est pas très « plein air », voire sportif, on ne peut faire autrement que de se dire qu’un peu d’entraînement s’impose. Sylvie et Pierre nous en avaient parlé et le site web « Du Québec à Compostelle » regorge de témoignages et de références à cet effet, tout comme les guides que nous avons consultés.

Le conseil qui a le plus piqué ma curiosité et que je n’ai retrouvé qu'à un seul endroit est celui où l’on nous recommandait de faire des bains de pieds tous les jours, pendant au moins un mois avant le départ, dans une eau chaude saturée de sel de mer pour en raffermir la peau et diminuer le risque d’ampoules. Je ne sais si cela a un fond scientifique, mais Denis et moi avons suivi ce conseil et n'avons pas souffert d’ampoules aux pieds, si ce n'est deux ou trois ampoules de rien du tout.

J’ai repensé aux concombres que ma mère faisait tremper dans une saumure semblable pour les raffermir avant de les mettre en conserve et je me suis dit que l’idée n’était pas si bête. Nous ne saurons jamais si ce sont ces bains de pieds qui nous ont prémunis des ampoules si redoutées des pèlerins ou si c’est la qualité de nos chaussettes et nos chaussures, la crème hydratante ou la poudre appliquée toutes les 2 ou 3 heures de marche, ou une combinaison de tout cela, mais si c’était à refaire, je recommencerais les bains de pieds au sel de mer, même si un scientifique me prouvait que ça ne change rien. C’était si agréable, si relaxant.

Mais la préparation physique c’est bien plus que quelques bains de pieds. Il n’y a pas de recette secrète, il faut s’entraîner en fonction de ses besoins. Certains s’entraînent seuls, d’autres joignent des groupes de marche, mais Denis et moi avons préféré nous abonner dans un gym près de chez nous quelques mois avant le départ.

Après s’être informée de notre projet et de nos habitudes de vie, une kinésiologue nous a préparé un programme axé principalement sur le cardio-vasculaire, afin d’augmenter notre endurance pour la marche au long cours, et sur le tonus musculaire des abdominaux, des dorsaux et des jambiers. Au bout de quelques semaines, nous avons commencé à apporter notre sac à dos au gym, d’abord presque vide, puis de plus en plus chargé, jusqu’à atteindre le poids que nous aurions à transporter. Ainsi accoutrés sur le tapis roulant, ajusté avec une forte dénivellation et une vitesse variable, nous attirions bien des regards, mais comme on dit : « Si on ne vaut pas une risée, on ne vaut pas grand-chose ».

Nous avons aussi fait plusieurs excursions à l’extérieur, sur le Mont-Royal, entre autres, mais aussi une randonnée mémorable le long du Canal Lachine à Montréal : 37 kilomètres au bout desquels nous pensions tous les deux mourir. Nous n’avions pas bu assez d’eau et pas assez mangé. En arrivant à la maison, Denis a fait une forte fièvre et en a eu pour quelques jours à s’en remettre, mais nous avons compris – et ne l’avons jamais oublié une seule fois sur le Chemin – que les conseils sur l’hydratation n’étaient pas exagérés : buvez! buvez! buvez! (de l’eau, bien sûr). Et buvez avant de ressentir la soif, car si vous la ressentez, c’est que votre corps vous envoie des signaux, que vous avez trop attendu, donc. Avant même de prendre la route, le matin, nous buvions 500 ml d’eau pour bien partir la journée. Et ça fait toujours ça de moins à transporter sur son dos!

Les tendons, les muscles et les articulations ont besoin d’eau douce pour bien fonctionner, comme les pieds ont besoin d’eau salée pour s’endurcir.

À bien y penser, c’est un peu bizarre, tout de même : plus on se baigne les pieds dans l’eau salée, moins on a de chance d’avoir des ampoules remplies d’eau!


samedi 29 janvier 2011

Du Québec à Compostelle

Coquelicots dans un champ d'orge, un peu avant Pampelune, Espagne
(photo : André Lebeau, 23 mai 2006)

« Il n’y a pas de hasards, il n’y a que des rendez-vous. »
                                                                                        Paul Éluard


Oui, je sais, vous aviez hâte que je commence à vous parler — façon de parler, bien sûr, puisque ce blogue est écrit et lu, et non dit et écouté, mais disons que je parle ici du langage du cyberespace et qu'en ce lieu tout est permis — du Chemin lui-même, de la raison d'être de ce blogue, de la raison qui vous pousse à y revenir pour connaître la suite, comme si je vous racontais l’histoire du Petit Chaperon rouge pour la première fois. Je vous promets d'y revenir très bientôt, mais je me dois de vous parler un peu de notre préparation, à Denis et à moi, pour ce grand voyage, notre voyage de rêve.

La première fois que j'ai « Googlé » le mot « Compostelle » sur l'ordi, j’ai tout de suite vu, dans le top 10 : « Bienvenue sur le site de l’Association Du Québec à Compostelle »*. C’est là l'une des forces du moteur de recherche Google : reconnaître vos habitudes de navigation et l’endroit d’où vous « Googlez » pour vous offrir les sites les plus pertinents. Rechercher « Compostelle » à partir de Montréal m’a donc mis sur la piste (sic) de cette Association et j’en ai toujours été reconnaissant à Google. Je reviens sans cesse à Éluard : « Il n’y a pas de hasards, il n’y a que des rendez-vous »; Denis et moi avions un rendez-vous cosmique lorsque nous nous sommes rencontrés et nous avions rendez-vous avec Compostelle, et…

J'ai trouvé sur ce site tous les conseils, les renseignements pratiques, les témoignages, les références dont j'avais besoin pour assouvir ma soif d’information. Ce n'est pas que j’aie préparé notre voyage dans les moindres détails, loin de là, mais je voulais m’assurer que le matériel que nous allions apporter, tout comme notre préparation physique, était adéquat, car ce sont là deux éléments essentiels sur lesquels on peut agir pour ensuite vivre pleinement la magie du Chemin. Et je peux dire, après coup, que notre préparation a eu une influence positive et déterminante sur notre voyage.

Le site de l’Association m'a donc permis de préciser, quelque temps après notre rencontre avec Sylvie et Pierre, la quantité phénoménale de conseils et de renseignements qu'ils nous avaient si généreusement donnés. Nous avons d'ailleurs tenté de faire preuve de la même générosité, quelques mois après notre retour de Compostelle, à l'égard de Patloup dans la préparation de son propre pèlerinage; c’était à notre tour de donner au suivant. Patloup est la mère de notre oculiste, Geneviève, à qui Denis racontait notre périple, à l'automne 2006, tout en essayant des lunettes. Denis a l'art de raconter les anecdotes, si bien que tout le personnel de la lunetterie et les clients présents s'étaient rassemblés autour de lui comme les enfants autour d'un conteur de légendes fantastiques la veille du jour de l'An. Ils écoutaient avec attention et riaient de bon cœur, car le Chemin de Compostelle est parsemé d'autant d'anecdotes qu'il y a de coquelicots dans les champs d'Espagne en mai.

* Site de l'Association québécoise des pèlerins et amis du Chemin de Saint-Jacques : Du Québec à Compostelle


mercredi 26 janvier 2011

... et que serait-ce si vous portiez une maison?*


Denis Payette, à l'approche de Grañon, Espagne
(photo : André Lebeau, 30 mai 2006)

« Moi mes souliers ont beaucoup voyagé
Ils m'ont porté de l'école à la guerre
J'ai traversé sur mes souliers ferrés
Le monde et sa misère »

                                   Moi mes souliers**
                                     Félix Leclerc          

J’aurais pu tout aussi bien intituler ce billet « La bottine et le baluchon », mais l’image de la tortue portant sa maison sur son dos, dans la fable de La Fontaine, est si représentative de ce que beaucoup de pèlerins ressentent – à tout le moins les premiers jours de marche – que je n’ai pu faire autrement que de m'en inspirer pour mettre en lumière l’importance du choix du sac à dos, et de son contenu, bien sûr.

Et que dire de l’importance de la botte ou du soulier de marche, de la « bottine », comme on l’appelle souvent au Québec, ce qui a l’heur de faire rire la majorité des Français rencontrés sur la route, à la fois parce que le mot n’est pas tout à fait juste (ça nous vient du vieux français de l’époque de la colonisation sous Louis XIV), mais aussi à cause de notre accent qui charme ces mêmes Français que j’aime tant? Lorsque je dis « mes bottines », il faut entendre : « mé bottsinne ».

Et le baluchon dans tout ça? Eh bien! vous aurez compris que c’est l’image du vagabond – dans le sens très sympathique du terme – qui va son petit bonhomme de chemin à travers le monde, de village en village, en portant au bout d’un bâton, en balance sur son épaule, un petit paquet de vêtements et d’effets personnels pour tout bagage. Vous avez donc là l’image tout aussi sympathique que je me fais du pèlerin sans soucis, de moi-même sur cette route, à tout le moins.

Je parlerai des aspects pratiques et techniques du sac à dos, « dé bottsines » et du reste du matériel sur mon site web. Comme je l’ai dit d’entrée de jeu dans ce billet, ce qui est important, voire primordial, c’est de bien choisir son sac à dos et ses bottines et de peser littéralement chaque morceau de vêtement et de matériel que l’on choisit d’apporter. Le sac à dos a beau être le meilleur sur le marché, vous n’irez pas très loin si vous y fourrez tout ce qu’il vous faut pour vous sentir comme à la maison.

Demandez donc à la tortue ce qu’elle peut bien transporter sous le toit de sa maison et inspirez-vous-en, elle est à l’évidence de bon conseil, puisque depuis plus de 300 ans, on la cite en exemple.

* Le Lièvre et la Tortue, 1668, Jean de La Fontaine
** Voir le clip de Félix Leclerc : Moi mes souliers


dimanche 23 janvier 2011

Tilley, toujours partant


Denis Payette, près de la Vierge de Biakorri, quelques heures
après le départ de Saint-Jean-Pied-de-Port, France
(photo: André Lebeau, 21 mai 2006)
Tilley*, c’est la marque de chapeau dont nous avaient parlé Sylvie et Pierre – le chapeau qui distingue bon nombre des Québécois et des Canadiens des autres pèlerins sur le Chemin de Compostelle; c’est aussi le nom de la première boutique que nous avons visitée en février 2006 pour y acheter quelques-uns des éléments dont nous avions besoin pour notre voyage.




André Lebeau, à environ 1km de l'entrée du village d'Enériz,
entre Cizur Menor et Eunate, Espagne
(photo: Denis Payette, 24 mai 2006)
Nul besoin de s’équiper en neuf pour partir à l’aventure, mais Denis et moi n’étant pas très « plein air », nous n’avions à peu près rien du minimum requis pour la marche au long cours, alors nous y sommes allés en grand. Pas question de partir avec des jeans (trop lourds dans le sac à dos), de même pour la serviette de bain en ratine (trop volumineuse et trop lourde aussi), pas de t-shirts en coton (trop longs à sécher), etc.

La boutique Tilley de Montréal, aussi anecdotique que cela puisse paraître, se trouve à quelques coins de rues de là où nous habitons, et nous ne la connaissions pas. Par un samedi froid de février, donc, nous nous sommes rendus à la boutique et y avons passé une bonne partie de l’après-midi à parler de notre voyage, de nos besoins, et les charmantes vendeuses nous ont renseignés et conseillés avec une attention peu commune. Si bien que nous nous sommes dit que si les questions pratiques, aussi agréablement réglées, étaient le présage de notre voyage, nous pouvions entrevoir la chose sans soucis.

Je reprendrai, sur mon site web, la liste complète de tout ce que nous avons apporté, mais voici tout de même un aperçu de notre sac à dos – qui n’était pas encore acheté, d’ailleurs, et tout ça en double. Dans les teintes de bleu pour Denis, pour mettre en valeur ses yeux couleur de ciel, et dans les teintes de marron et de beige pour moi, tout simplement parce que le choix des couleurs était limité et que nous voulions nous distinguer. Tout à fait raté, malgré notre volonté de nous distinguer, on nous a pris pour des jumeaux durant tout le voyage!

Nous sommes donc sortis de la boutique avec, pour chacun de nous : un chapeau (l’incomparable Tilley LTM3 AIRFLO); un « Panta-short Tech Allure d’aventure » (pas donné, pas très sexy, mais drôlement pratique et approprié); deux sous-vêtements « Coolmax Extrême » (version boxeur pour moi, version caleçon de voyage pour Denis); deux paires de chaussettes de randonnée (garantie sans trous pendant trois ans); deux paires de socquettes (judicieux conseil que de porter la socquette sous la chaussette pour réduire la friction et les risques d’ampoules); une chemise à manches longues retroussables (quasi infroissable, à séchage rapide); une brosse à dents de voyage Toob (avec minitube de dentifrice rechargeable intégré, très pratique).

Nous sommes rentrés à la maison le cœur joyeux et le portefeuille plus léger. Prochaine sortie de magasinage quelques semaines plus tard : La Cordée.

* Site web Tilley : http://www.tilley.com/

samedi 22 janvier 2011

Sylvie et Pierre

Chez Sylvie et Pierre, Sainte-Élisabeth, Lanaudière, Québec, 2006
Janvier 2006, c'était l'hiver, le soleil brillait. Quand Denis et moi sommes descendus de l'autobus près de l'église de Joliette, Pierre nous attendait dans sa voiture. Ne nous ayant jamais vus auparavant, il nous a reconnus à notre air d'étranger de la grande ville et il est venu à notre rencontre, sourire aux lèvres, la main tendue. Déjà, nous n'étions plus des étrangers.

Arrivés à la maison, Sylvie nous a accueillis avec le même sourire, la même main tendue, aussi chaleureuse que celle de Pierre, une accolade en prime. Sylvie avait cuisiné avant notre arrivée et ça sentait le bonheur, un gâteau, je crois. Nous avons un peu parlé de Patrick, notre point de contact, de sa conjointe, de leurs enfants.

Sylvie et Pierre nous ont parlé avec passion de leur expérience sur le Chemin de Compostelle. Je crois que nous avons été convaincus avant même qu'ils nous parlent réellement de leur périple, des aspects psychologiques, de la préparation physique, du matériel, de mille et une autres choses. Ils nous ont surtout fait comprendre que le Chemin était personnel à chacun. « N'ayez crainte, nous ont-ils dit, votre réflexion semble déjà bien mûrie, profitez de chaque instant. »

Ils ont sorti tout le matériel qu’ils avaient utilisé, les sacs à dos, les chaussures et les bâtons de marche, les sacs de couchage, les vêtements, les trousses de premiers soins, etc. Leur plus précieux conseil a été de partir avec un sac à dos aussi léger que possible.

Sylvie et Pierre ont eu la sagesse de nous faire comprendre que le Chemin de l'un ne serait jamais le Chemin de l'autre. Ce Chemin est mythique, et sa magie se dévoile différemment à chaque pèlerin. Avant toute chose, c'est la passion de Sylvie et de Pierre qui nous a touchés, qui nous a convaincus.

Sylvie avait préparé un repas digne des Rois Mages, et nous n'avions apporté ni or ni myrrhe ni encens, pas même une bouteille de vin. Puis ils nous ont fait faire le tour de leur demeure ancestrale de Sainte-Élisabeth, une magnifique maison remplie de souvenirs et habitée de leur passion pour l’histoire. À ce jour, Pierre a publié plus d’une vingtaine d’ouvrages sur le sujet, dont « Le patrimoine bâti de Sainte-Élisabeth, ou, Les belles maisons bayollaises ».

Avant que Pierre ne vienne nous conduire à Joliette pour le retour en autobus vers Montréal, Sylvie nous a offert quelques pots de confiture et de marinades maison.

C’était l’hiver, une pluie verglaçante nous fouettait le visage. Sylvie a recommandé à Pierre d’être prudent sur la route, puis elle nous a fait l’accolade avant de nous regarder partir. Elle semblait avoir dans le regard une bienveillance peu commune, l’attention d’une marraine, comme une envie de repartir avec nous pour nous guider. Sylvie et Pierre ont habité nos pensées tout au long de notre périple.

mardi 18 janvier 2011

Il y a une saison pour tout

Des cerises encore jaunes, Espagne
(photo : André Lebeau, 9 juin 2006)
J'arrive de ma soirée de bénévolat à La Magnétothèque où, comme tous les mardis soir depuis une dizaine d'années, je fais la lecture de livres qui sont enregistrés sur support numérique et qui sont ensuite mis à la disposition de toute personne qui ne peut lire à cause d'un handicap visuel, physique, perceptif ou à cause d'un contexte éducationnel ou sociétal défavorable. Ces livres numériques sont distribués par Bibliothèque et Archives nationales du Québec, aussi connue sous le nom de Grande Bibliothèque.

Mais quel est le lien avec le Chemin de Compostelle? me direz-vous. Eh bien! le voici. Le livre que j'ai commencé à lire il y a quelques mois, à raison de deux heures et demie par semaine, et que je lisais encore ce soir, s'intitule « L'année où j'ai vécu selon la Bible » de A.J. Jacobs, Éditions Jacqueline Chambon. Ce soir, donc, je suis tombé sur un passage où l'auteur fait référence à un passage de la Bible qui exprime très bien ce que j'ai tenté d'écrire dans mon premier billet sur ce blogue (Un souvenir heureux).

ECCLÉSIASTE 3,1

Bref, chaque chose arrive en son temps! Ce serait donc la raison pour laquelle ce blogue est écrit cinq ans après les faits. Le fruit a mûri, c'est aussi simple que cela.


« Il y a une saison pour tout, et il y a un temps pour toute affaire sous les cieux. Il y a un temps de naître, et un temps de mourir; un temps de planter, et un temps d'arracher ce qui est planté. »

lundi 17 janvier 2011

Pieds nus sur le Chemin du Roy

Calvaire à Batiscan, Québec
(photo : André Lebeau, 5 juillet 2005)
Au retour de notre marche de six jours sur le Chemin du Roy, entre Trois-Rivières et Québec, Denis a écrit ce très beau texte qui résume merveilleusement bien notre état d'âme. S'il devait écrire un résumé de notre périple sur le Chemin de Compostelle, ce serait, à mon avis, très semblable. Les lieux changeraient, mais l'essence serait la même.

« Pieds nus sur le Chemin du Roy, nous marchons d’un pas lent dans l’allégresse d’un été enchanteur, Trois-Rivières, Champlain, Batiscan, pèlerins sans bourdon, seuls, sac au dos, sous un soleil de plomb, longeant le fleuve et la plaine verdoyante s’étendant à l’infini, guettant le clocher d’une église, la halte promise

Sainte-Anne-de-la-Pérade, les granges abandonnées, la fatigue, les pieds meurtris, le vent soulevant la poussière des chemins, nos lèvres sèches, le goût de l’eau, providentielle.

Grondines, au gré des rencontres, les confidences d’une vieille dame, les mots d’encouragement des villageois se berçant dans le jardin fleuri de leur vieille maison aux couleurs vives et chatoyantes, l’odeur du foin fraîchement fauché, les vaches saluant notre passage, les chiens qui aboient.

Deschambault, les croix de chemin vermoulues, les papillons morts de soif, le cri des carouges dans le bleu du ciel, le nid d’un couple de pigeons sur la croix d’un Calvaire vétuste.

Portneuf, Cap-Santé, Les Écureuils, Neuville, les gîtes du passant, les hôtes accueillants, la paix du soir, le sommeil profond, réparateur.

Saint-Augustin, la route à finir, l’approche du but.

Québec, la fin du périple, le repos mérité, la joie, l’allégresse, tous ces pas, ces souvenirs, incrustés sous nos pieds nus. »

Denis Payette
juillet 2005



dimanche 16 janvier 2011

Le Chemin du Roy

Le Christ aux pigeons, Deschambault, Québec
(photo: André Lebeau, 7 juillet 2005)

« Je ne sais où va mon chemin,
mais je marche mieux quand ma main serre la tienne. »
                                                 Alfred de Musset

Avant de parler de Pierre et Sylvie, je me dois de parler un peu du Chemin du Roy, car cette marche de 140 km à pied entre Trois-Rivières et Québec en juillet 2005 a été déterminante dans notre décision de faire le Chemin de Compostelle. À ceux et celles qui aiment la marche et qui ne peuvent se rendre en Europe pour le pèlerinage ultime, je peux dire que l’expérience est similaire.

Le matin de notre départ, nous avons fait nos sacs à dos – des sacs inappropriés pour la marche au long cours, sans support, des sacs faits pour une ballade de quelques heures tout au plus – en y fourrant des vêtements pour six jours, pas question de faire du lavage. Pour les chaussures : espadrilles multisports pour moi; espadrilles « de salon » pour Denis. La seule préparation que nous avions faite était d’avoir repéré les auberges et les B & B où nous pourrions dormir, à vingt ou vingt-cinq kilomètres de distance les uns des autres, question de nous rapprocher le plus possible de la réalité de Compostelle.

Première étape, 4 juillet : Trois-Rivières – Champlain, 20 km; le soleil était de la partie. Ça s’est bien passé pour la marche, malgré le fait que nous réalisions dès ce premier jour que nos sacs à dos et les espadrilles de Denis étaient inadéquats. Première constatation : les gens étaient intrigués par deux gars marchant sur l’accotement de la route 138. On nous demandait souvent si nous faisions le pèlerinage qui part de l’Oratoire Saint-Joseph à Montréal jusqu’à la basilique Sainte-Anne-de-Beaupré, dans la région de Québec, une marche de 18 jours. Nous y avions songé, mais nous ne souhaitions pas faire une marche à caractère religieux en nous arrêtant dans chaque église pour y prier et en couchant dans les presbytères et les couvents. Deuxième constatation : Denis avait des ampoules aux pieds et faisait de l’érythème fessier; nous découvrions aussi des muscles endormis depuis longtemps.

Deuxième étape, 5 juillet : Champlain – Sainte-Anne-de-la-Pérade; 20 km. Dans ces deux villages, des hôtes charmants, accueillants, sympathiques, comme nous en rencontrerions beaucoup l’année suivante en Espagne.

Troisième étape, 6 juillet : Sainte-Anne-de-la-Pérade – Deschambault; 25 km. À Grondines, où j’ai habité et travaillé pendant près d’un an, alors que j’étais apprenti lissier chez Micheline Beauchemin, une vieille dame s’est intéressée à nous. « J’ai 84 ans, vous savez, et je marche tous les jours. Je vous envie de faire le Chemin de Compostelle l’année prochaine, j’aurais bien aimé faire ce que vous faites, mais avec la ferme et ma famille, ce n’était pas possible, et maintenant c’est trop tard pour moi. » Puis elle s’est mise à nous parler de son mari décédé depuis plusieurs années, de ses deux enfants, adoptés : une fille et un garçon. « Ma fille est bien correcte, mais mon garçon, c’est bien dommage, j’ai été obligée de l’amener en cour parce qu’il me maltraitait. Il n’a plus le droit de venir me voir. Ce n’est pas de sa faute, vous savez. Quand il était jeune, il aurait eu besoin de soins, d’attention à l’école, mais quand il s’énervait et perdait ses esprits les jours d’orage, les professeurs l’isolaient dans une pièce et ne s’en occupaient pas. Dans ce temps-là, ils ne savaient pas quoi faire avec ce type d’enfants là. » Denis et moi avons été touchés et marqués par cette rencontre, cette confidence. Ça aussi, nous allions le revivre abondamment sur le grand Chemin. À Deschambault, nous avons dormi dans une auberge où Denis était venu plus jeune, la même année où j’étais à Grondines, à quelques kilomètres de distance, une vingtaine d’années avant que nous fassions connaissance. Il passait quelques jours en compagnie de Yolande Tremblay, une ancienne voisine de Loretteville qui opérait à cette époque cette auberge champêtre.

Quatrième étape, 7 juillet : Deschambault – Neuville; 30 km. Nous avions planifié dormir à Donnacona, à environ 20 km de Deschambault, mais ô surprise! nous n’y avons trouvé qu’un seul B & B. Dès l’accueil, nous avons eu des doutes sur la salubrité des lieux et sur le caractère pour le moins spécial de l’hôtesse. Son B & B c’était un matelas au sol dans une chambre d’ami complètement dénudée. Nous avons dit à la dame : « Ce n’est pas tout à fait ce que nous cherchons, nous allons y penser. » Elle nous a alors invectivés en nous demandant si nous partions parce que sa maison n’était pas assez bien pour nous – il fallait lire : vous les snobs –, en nous disant qu’il n’y avait rien d’autre à Donnacona, que sa chambre se louait rapidement, qu’il serait plus sage de rester, qu’elle avait besoin d’argent… Nous avons pris nos jambes à notre cou et avons cherché un peu plus loin dans le village. Rien à faire, nous ne nous sentions pas bien à Donnacona. Nous sommes retournés sur la route 138 – quelques kilomètres pour rien pour aller et revenir du village – et nous sommes informés dans un garage s’il y avait un endroit où dormir pas trop loin. Il y avait bien un autre B & B, mais il était fermé depuis belle lurette, donc rien avant Neuville.

Cinquième étape, 8 juillet : Neuville – Sainte-Foy; 23 km. Nous nous sommes arrêtés dans un motel « cheap », à un croisement d’autoroutes; pas question de faire un autre 30 km.

Sixième étape, 9 juillet : Sainte-Foy – Loretteville (chez les parents de Denis); 20 km. Madeleine et Marcel étaient bien heureux de nous voir en vie, Madeleine, surtout, toujours inquiète.

C’était décidé, nous allions réaliser notre rêve. Nous partions pour Compostelle l’année suivante. Je pouvais rappeler Patrick et lui demander de nous mettre en contact avec Pierre et Sylvie.

Patrick

Maison ancestrale, Chemin du Roy,
entre Champlain et Batiscan, Québec (André Lebeau)
Un jour, il y a eu Patrick. Un nouveau collègue de travail éminemment sympathique : souriant, avenant, charmant, amical, sincère, et la liste pourrait s’étirer longuement, comme le sillage d’un canot d’écorce sur un lac tranquille un matin d’été.

À l'époque, j'étais technicien informatique et je dépannais Patrick pour la première fois. Pendant que l’installation que j’avais démarrée sur le PC s’exécutait, nous discutions de tout et de rien, question de faire plus ample connaissance. Beaucoup de techniciens informatiques aiment bien cette partie de leur travail qui leur permet de stimuler l’hémisphère droit de leur cerveau : les relations humaines.

Je ne me rappelle plus quand cette conversation a eu lieu, mais c’est assurément entre 2003 et 2006, car j’ai mentionné à Patrick que Denis et moi pensions sérieusement à faire le Chemin de Compostelle. Mais comment en vient-on à parler du Chemin de Compostelle avec un collègue que l’on rencontre pour la première fois? Je ne sais pas, au juste. Je crois que le caractère amène de Patrick a favorisé cet échange.

Toujours est-il que dès que Patrick m’a entendu prononcer le mot Compostelle, j’ai senti que nous avions là un point commun. La conversation s’est animée encore plus; il m’a révélé que ses beaux-parents avaient fait le Chemin et il était convaincu qu'ils seraient heureux de nous aider à préparer notre voyage. Il m’a dit quelque chose comme : « Je crois que c’est pratique courante chez les pèlerins de s’entraider, n’est-ce pas? » Je me rappelle l'avoir remercié de l'offre et lui avoir dit que je reviendrais le voir lorsque notre décision serait prise.

Le temps a passé, je ne sais plus combien, un an, peut-être. Entre-temps, Patrick a changé de poste et a été muté dans un autre bureau. Je le croisais de temps à autre quand il venait au bureau pour une réunion, et chaque fois je retrouvais la même sincérité dans son « Comment ça va, est-ce que ton projet avance? »

Un jour, j'ai rappelé Patrick et lui ai dit que Denis et moi souhaitions rencontrer ses beaux-parents, si l’offre tenait toujours. Notre décision était prise. C’était à l’hiver 2005, après que Denis et moi ayons fait le Chemin du Roy : 140 km à pied entre Trois-Rivières et Québec, question de tester notre intérêt et notre endurance.

Patrick nous a mis en contact avec Pierre et Sylvie. Une rencontre inoubliable nous attendait quelques semaines plus tard.

samedi 15 janvier 2011

La genèse


Paolo Coelho


Marcel Leboeuf


Denis Payette




« Au commencement »
                GENÈSE 1


En 2006, il y avait 100,377* raisons de faire le Chemin de Compostelle, c'est-à-dire autant de raisons qu'il y avait de pèlerins cette année-là.

Et toi, pourquoi fais-tu le Chemin? Cette question est sans conteste celle que l'on entend le plus souvent sur le Chemin, jour après jour, voire d'heure en heure. La réponse que je donnais le plus souvent - car elle pouvait varier selon mon envie de partager à ce moment (non que je mentais, c'est mon niveau de précision qui variait) - était : parce que j'aime la marche, l'histoire et la culture. Les jours où j'étais plus loquace, j'ajoutais que ce n'était pas par motif religieux. Je reviendrai sur les motivations de faire le Chemin, car le sujet est source de nombreuses discussions, parfois très animées.

Oui, mais toi, qu'est-ce qui t'a poussé à partir, vous demanderez-vous peut-être? Eh bien! mis à part le fait que j'avais déjà entendu parler du pèlerinage à Saint-Jacques-de-Compostelle quelque part, je ne me rappelle ni où ni quand, trois personnes m'ont incité à partir : Paolo Coelho, Marcel Leboeuf et Denis Payette.

Primo, Paolo Coelho, romancier brésilien qui a entre autres publié « L'Alchimiste », en 1994 (vesion française), et « Le Pèlerin de Compostelle », en 1996. Ce sont donc ces deux livres qui seraient au commencement de toute chose pour moi. Deux romans d'initiation à lire et à relire, dans la foulée des livres à succès mondial comme « Le Petit Prince » d'Antoine de Saint-Exupéry et « Le Prophète » de Khalil Gibran.

Secundo, Marcel Leboeuf**, comédien québécois qui a amorcé son pèlerinage vers Saint-Jacques-de-Compostelle en 2001 et qui en a largement parlé à la télévision. Je n'ai jamais eu l'occasion d'assister à une de ses conférences, que ce soit « La passion selon Marcel » ou « Sur le chemin de Compostelle », mais j'ai ressenti sa passion chaque fois que je l'ai entendu en entrevue. Marcel a soufflé sur la flamme qu'avait allumée Paolo en moi.

Tertio, la rencontre de mon compagnon de vie actuel, Denis Payette, en 2003. Dans nos discussions passionnées des premiers mois, nous nous sommes découvert ce rêve commun : faire le Chemin de Compostelle. Ce rêve partagé s'est retrouvé du côté des atomes crochus dans la balance de nos affinités et dissemblances. J'oserais dire que ça pesait lourd dans la balance, parce que le rêve était ancré solidement en chacun de nous et nous voyions là la possibilité de le concrétiser. Non qu'il faille à tout prix partir avec quelqu'un, loin de là, mais pour nous, c'était ça : partir avec quelqu'un d'autre, mais pas n'importe qui. C'était aussi, sans que nous en prenions encore tout à fait conscience, commencer une vie nouvelle.

*   Nombre de certificats de pèlerinage (Compostela) accordés en 2006
    (source : Bureau d'Accueil des Pèlerins : http://www.peregrinossantiago.es/
**  Site web de Marcel Leboeuf : http://www.marcel.ca/

mercredi 12 janvier 2011

Un souvenir heureux


André Lebeau, Saint-Jacques-de-Compostelle, Espagne
(photo : Denis Payette, 21 juin 2006)

Un souvenir heureux*
Est plus vrai bien souvent que le bonheur
Plus vrai que tous les mots du fond du coeur
L'oubli est un affreux voleur

Pourquoi un blogue sur Compostelle cinq ans après les faits, me direz-vous? Pour que l'oubli ne me vole plus ces souvenirs heureux. Et pourquoi dans la blogosphère, alors? Parce que c'est là que l'on écrit, aujourd'hui, me dit-on, mais aussi pour partager. N'est-ce pas là une des grandes leçons apprises sur le Chemin?

Mais pourquoi cinq ans après plutôt qu'au retour ou l'année dernière ou l'année prochaine? Parce qu'il y a cet événement qui a tout déclenché, qui a remis le Chemin sur ma route : la publication prochaine d'un recueil de haïkus écrits sur le Camino Francés au printemps 2006.

Le recueil de haïkus, j'y reviendrai.

Le Chemin, quand on l'a fait, on sait qu'on ne veut jamais l'achever, dans les deux sens du terme : le finir, le compléter spirituellement, s'entend ou y porter le coup de grâce, le faire et ne plus en parler, comme on coche un élément sur une liste de choses à faire. Mais ça aussi j'y reviendrai, car c'est un sujet qui force la réflexion.

Puis il y a le temps, la maturation : le Chemin a fait son chemin. Je suis fin prêt à partager. Mes réflexions comme mes photos. Parce que même mes photos étaient restées lettre morte sur le disque dur de mon ordinateur. J'en ai bien montré quelques-unes, de-ci de-là, à mes parents, à quelques amis, sans grand enthousiasme de ma part. Montrer ses photos c'est aussi raconter son périple et une autre façon d'achever le Chemin et je n'étais pas prêt à ça.

Les photos, je les déposerai sur flickr : http://www.flickr.com/photos/andrelebeau

Aurais-tu donc achevé ton Chemin, me demanderez-vous? Eh bien non! Je suis tout simplement prêt à partager, à déposer quelques fragments de ce pèlerinage dans le sens très large du terme dans la blogosphère pour que l'oubli ne me vole plus ce souvenir heureux.

* Voir le clip de Diane Dufresne : Un souvenir heureux
   Paroles/Musique : D. Thompson/Vladimir Cosma