dimanche 16 janvier 2011

Le Chemin du Roy

Le Christ aux pigeons, Deschambault, Québec
(photo: André Lebeau, 7 juillet 2005)

« Je ne sais où va mon chemin,
mais je marche mieux quand ma main serre la tienne. »
                                                 Alfred de Musset

Avant de parler de Pierre et Sylvie, je me dois de parler un peu du Chemin du Roy, car cette marche de 140 km à pied entre Trois-Rivières et Québec en juillet 2005 a été déterminante dans notre décision de faire le Chemin de Compostelle. À ceux et celles qui aiment la marche et qui ne peuvent se rendre en Europe pour le pèlerinage ultime, je peux dire que l’expérience est similaire.

Le matin de notre départ, nous avons fait nos sacs à dos – des sacs inappropriés pour la marche au long cours, sans support, des sacs faits pour une ballade de quelques heures tout au plus – en y fourrant des vêtements pour six jours, pas question de faire du lavage. Pour les chaussures : espadrilles multisports pour moi; espadrilles « de salon » pour Denis. La seule préparation que nous avions faite était d’avoir repéré les auberges et les B & B où nous pourrions dormir, à vingt ou vingt-cinq kilomètres de distance les uns des autres, question de nous rapprocher le plus possible de la réalité de Compostelle.

Première étape, 4 juillet : Trois-Rivières – Champlain, 20 km; le soleil était de la partie. Ça s’est bien passé pour la marche, malgré le fait que nous réalisions dès ce premier jour que nos sacs à dos et les espadrilles de Denis étaient inadéquats. Première constatation : les gens étaient intrigués par deux gars marchant sur l’accotement de la route 138. On nous demandait souvent si nous faisions le pèlerinage qui part de l’Oratoire Saint-Joseph à Montréal jusqu’à la basilique Sainte-Anne-de-Beaupré, dans la région de Québec, une marche de 18 jours. Nous y avions songé, mais nous ne souhaitions pas faire une marche à caractère religieux en nous arrêtant dans chaque église pour y prier et en couchant dans les presbytères et les couvents. Deuxième constatation : Denis avait des ampoules aux pieds et faisait de l’érythème fessier; nous découvrions aussi des muscles endormis depuis longtemps.

Deuxième étape, 5 juillet : Champlain – Sainte-Anne-de-la-Pérade; 20 km. Dans ces deux villages, des hôtes charmants, accueillants, sympathiques, comme nous en rencontrerions beaucoup l’année suivante en Espagne.

Troisième étape, 6 juillet : Sainte-Anne-de-la-Pérade – Deschambault; 25 km. À Grondines, où j’ai habité et travaillé pendant près d’un an, alors que j’étais apprenti lissier chez Micheline Beauchemin, une vieille dame s’est intéressée à nous. « J’ai 84 ans, vous savez, et je marche tous les jours. Je vous envie de faire le Chemin de Compostelle l’année prochaine, j’aurais bien aimé faire ce que vous faites, mais avec la ferme et ma famille, ce n’était pas possible, et maintenant c’est trop tard pour moi. » Puis elle s’est mise à nous parler de son mari décédé depuis plusieurs années, de ses deux enfants, adoptés : une fille et un garçon. « Ma fille est bien correcte, mais mon garçon, c’est bien dommage, j’ai été obligée de l’amener en cour parce qu’il me maltraitait. Il n’a plus le droit de venir me voir. Ce n’est pas de sa faute, vous savez. Quand il était jeune, il aurait eu besoin de soins, d’attention à l’école, mais quand il s’énervait et perdait ses esprits les jours d’orage, les professeurs l’isolaient dans une pièce et ne s’en occupaient pas. Dans ce temps-là, ils ne savaient pas quoi faire avec ce type d’enfants là. » Denis et moi avons été touchés et marqués par cette rencontre, cette confidence. Ça aussi, nous allions le revivre abondamment sur le grand Chemin. À Deschambault, nous avons dormi dans une auberge où Denis était venu plus jeune, la même année où j’étais à Grondines, à quelques kilomètres de distance, une vingtaine d’années avant que nous fassions connaissance. Il passait quelques jours en compagnie de Yolande Tremblay, une ancienne voisine de Loretteville qui opérait à cette époque cette auberge champêtre.

Quatrième étape, 7 juillet : Deschambault – Neuville; 30 km. Nous avions planifié dormir à Donnacona, à environ 20 km de Deschambault, mais ô surprise! nous n’y avons trouvé qu’un seul B & B. Dès l’accueil, nous avons eu des doutes sur la salubrité des lieux et sur le caractère pour le moins spécial de l’hôtesse. Son B & B c’était un matelas au sol dans une chambre d’ami complètement dénudée. Nous avons dit à la dame : « Ce n’est pas tout à fait ce que nous cherchons, nous allons y penser. » Elle nous a alors invectivés en nous demandant si nous partions parce que sa maison n’était pas assez bien pour nous – il fallait lire : vous les snobs –, en nous disant qu’il n’y avait rien d’autre à Donnacona, que sa chambre se louait rapidement, qu’il serait plus sage de rester, qu’elle avait besoin d’argent… Nous avons pris nos jambes à notre cou et avons cherché un peu plus loin dans le village. Rien à faire, nous ne nous sentions pas bien à Donnacona. Nous sommes retournés sur la route 138 – quelques kilomètres pour rien pour aller et revenir du village – et nous sommes informés dans un garage s’il y avait un endroit où dormir pas trop loin. Il y avait bien un autre B & B, mais il était fermé depuis belle lurette, donc rien avant Neuville.

Cinquième étape, 8 juillet : Neuville – Sainte-Foy; 23 km. Nous nous sommes arrêtés dans un motel « cheap », à un croisement d’autoroutes; pas question de faire un autre 30 km.

Sixième étape, 9 juillet : Sainte-Foy – Loretteville (chez les parents de Denis); 20 km. Madeleine et Marcel étaient bien heureux de nous voir en vie, Madeleine, surtout, toujours inquiète.

C’était décidé, nous allions réaliser notre rêve. Nous partions pour Compostelle l’année suivante. Je pouvais rappeler Patrick et lui demander de nous mettre en contact avec Pierre et Sylvie.

1 commentaire:

  1. «Je ne sais où va mon chemin,
    mais je marche mieux quand ma main serre la tienne. »

    André, cette phrase de Musset me va droit au coeur: j'ai parfois l'impression de l'avoir écrite moi-même.

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