mercredi 9 février 2011

Adeline


Saint-Jean-Pied-de-Port sur la Nive de Béhérobie, France
(photo : André Lebeau, 21 mail 2006)
Rue de la Citadelle, Adeline est venue nous ouvrir avec le sourire. Nous nous sommes présentés et le charme québécois a une fois de plus fait son œuvre : au pas de la porte, nous étions déjà des hôtes privilégiés.

Trois autres pèlerins étaient déjà là. Après les formalités d’usage, Adeline nous a demandé de nous déchausser avant de nous conduire tous les cinq à l’étage. Je me souviens de la brillance et de la réconfortante odeur des parquets et des escaliers cirés, comme chez ma grand-mère lorsque j’étais enfant. Adeline, comme Véronique, devait passer beaucoup de temps à les astiquer. Les installations sanitaires étaient au premier, attenantes à une terrasse où nous pouvions laver et étendre nos vêtements – c’est là le lot quotidien des pèlerins : laver les vêtements du jour sitôt arrivés au gîte d’étape afin qu’ils soient secs avant le lendemain matin. Nous avions de là une très belle vue en hauteur sur le jardin fleuri de la propriété et sur la ville.

Adeline nous a ensuite conduits au second étage, puis au troisième, là où se trouvaient les chambres d’hôtes. C’était une immense maison. Nous sommes finalement arrivés sous les combles. Il n’y avait là plus aucune trace du charme et de la noblesse du décor et des parquets cirés des étages inférieurs. Six lits à une place étaient répartis dans un espace malgré tout assez exigu. Moi qui ai le sommeil léger et qui rêvais d’une nuit réparatrice, je craignais déjà que nos compagnons de fortune – ou d’infortune – soient des ronfleurs qui m’empêcheraient de dormir sur mes deux oreilles.

En montant, nous avions bien vu d’autres chambres vides beaucoup plus intéressantes, mais ce n’était pas à nous de décider où nous allions dormir. Les autres chambres n’étaient peut-être pas destinées aux pèlerins qui sont hébergés pour environ 10 € la nuit. Adeline a assigné les lits du fond de la pièce à nos trois comparses. « Couvre-feu à 21 h », a-t-elle dit. Puis, se tournant vers nous, elle a souri et nous a demandé de la suivre à l’étage en dessous où elle nous a conduits dans une chambre privée joliment décorée et avec un seul lit à deux places. Adeline avait compris que Denis et moi formions un couple, québécois de surcroît, et nous démontrait son ouverture en nous offrant sa plus belle chambre.

Nous avons lavé nos vêtements, fait notre toilette, et sommes sortis manger au restaurant. Couvre-feu oblige, nous n’avions pas beaucoup de temps, et souhaitions nous mettre au lit le plus tôt possible en prévision de la traversée des Pyrénées. Au retour, nous avons un peu parlé avec Adeline et elle nous a offert de nous réveiller à 6 h le lendemain matin. Je me suis imaginé Adeline entrant dans notre chambre à l'aurore, mettant doucement la main sur mon épaule pour me réveiller. Adeline avait l’attention d’une mère ou d’une grand-mère.

À 6 h, Adeline a frappé à notre porte et s’est assuré que nous étions bien réveillés avant de repartir à la cuisine. Nos trois compagnons étaient déjà à table en train de manger des tartines avec beurre et confiture. Adeline nous a demandé ce que nous préférions : thé, café noir, café au lait ou chocolat chaud. Nous avons répondu presque à l’unisson « café au lait s.v.p. » Elle se tenait debout, au bout de la table, la baguette dans une main et un couteau dans l’autre. Au fur et à mesure que nous mangions, Adeline coupait du revers de la main, comme on coupe un quartier de pomme pour le manger sur le pouce, des tranches de la baguette de la veille et les lançait dans la corbeille au milieu de la table comme on lance du pain aux oiseaux. Nous avions faim et elle nous nourrissait.

Les trois autres pèlerins sont partis rapidement, très tôt. Adeline nous a servi un deuxième café au lait et s’est assise avec nous. Le temps des confidences était venu.


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