dimanche 13 février 2011

Poésie pastorale

« Un peu plus haut, un peu plus loin*
Je veux aller un peu plus loin
Je veux voir comment c'est, là-haut
Garde mon bras et tiens ma main »
                                                                  Jean-Pierre Ferland


7 h à l'horloge de la porte Notre-Dame,
Saint-Jean-Pied-de-Port, France
(photo : André Lebeau, 21 mai 2006)
Le dimanche 21 mai 2006. Il est 7 h à l’horloge de la tour de la porte Notre-Dame, curieusement ouverte dans le clocher de l'église de l’Assomption-de-la-Vierge – anciennement Notre-Dame du bout du pont. D'un côté, la rue de la Citadelle, où Adeline, la veuve noire, vient de refermer sa porte derrière nous. De l'autre, le pont Notre-Dame qui enjambe la Nive de Béhérobie que nous traverserons sous peu.

Beaucoup de pèlerins anticipent cette étape réputée difficile. Certains, pour couper l’étape qui les mènera à Roncevaux, dormiront au refuge d’Orisson, ou à Honto, une heure ou deux en amont. D’autres partiront de Navarrenx, d’Aroue ou d’Ostabat, en aval, quelques jours plus tôt, pour se faire les jambes avant la grande traversée. Nous, nous y sommes allés à froid, directement de Saint-Jean-Pied-de-Port, confiants que notre entraînement avait été adéquat.

Nous sommes entrés dans l’église, mais je n’en garde aucun souvenir particulier. Une messe allait débuter, je crois. Notre pèlerinage n’était pas religieux, et nous avions hâte de partir à l’aventure, hâte surtout de franchir cette étape.

Dès le premier kilomètre, je me rappelle avoir dit à Denis : « Regarde, il y a un autre pèlerin, là, un peu plus haut, et deux autres là-bas, et là-bas encore… » Je n’en voyais pas moins de dix, d’un seul regard. Nous qui pensions nous retrouver seuls sur ce Chemin, ou presque, nous commencions à réaliser que nous avions été bien naïfs. Mais peu importait, nous nous sommes dit – tout aussi naïvement – que tous ces gens n’allaient pas nécessairement au même refuge que nous.

Manechs à tête noire, Pyrénées-Atlantiques, France
(photo : André Lebeau, 21 mai 2006)
Nous avons fait une première halte au refuge/restaurant d’Orisson, près de Honto, pour prendre un troisième café au lait et manger un bout de baguette. Au milieu de la matinée, des paysans étaient assis au comptoir et prenaient un verre en discutant entre eux, en basque. Ils riaient bruyamment. Le propriétaire nous a dit, en français : « Ici, ce n’est pas le Crédit Agricole qui importe, sinon le crédit qui picole. » Et il a éclaté d’un grand rire avant de nous souhaiter bonne route.

Une heure de marche plus loin, un troupeau de Manechs à tête noire paissait librement dans les montagnes du Pays basque. Nous nous sommes arrêtés longuement pour profiter de cet instant de pure poésie pastorale. D’autres troupeaux tout aussi libres paissaient çà et là, regardant les pèlerins passer, comme les vaches les trains. Un peu plus loin, un troupeau de chevaux « sauvages », sans pasteur ni enclos, broutait aussi l’herbe tendre.

Chevaux en liberté, Pyrénées-Atlantiques, France
(photo : André Lebeau, 21 mai 2006)
Nous avons fait halte à mi-chemin pour la pause repas, aux pieds de la Vierge de Biakorri, dite injustement d’Orisson. Si la Vierge et l’Enfant, comme les moutons et les chevaux, semblaient paisibles, le vent, lui, était furieux. Nous avancions avec peine depuis déjà plusieurs heures, littéralement pliés en deux pour ne pas perdre pied. Une pèlerine a vu ses lunettes s’envoler de son visage, sous l’effet d’une bourrasque particulièrement violente. Un pèlerin les a ramassées dix mètres plus loin et les lui a rapportées, un peu amochées. Denis et moi avons reçu la salive visqueuse des moutons en plein visage, transportée par un vent impétueux, tandis que la Vierge et l’Enfant demeuraient impassibles.

Vierge de Biakorri (dite à tort d'Orisson)
Pyrénées-Atlantiques, France
(photo : André Lebeau, 21 mai 2006)
La suite du parcours, jusqu’au faîte, s’est déroulée dans les mêmes conditions. Peu habitués à la randonnée en montagne, nous avons cru plus d’une fois avoir atteint le sommet, mais ce n’était qu’illusion. À chaque détour, la montagne se révélait à nous dans toute sa splendeur, toujours plus haute, plus escarpée.

Ce n’est qu’à l’approche de la frontière France-Espagne – une simple guérite toujours ouverte –, en empruntant le col de Roncevaux, que le vent est tombé. L’épreuve du vent était derrière nous, mais une autre nous attendait. Comme on sait, tout ce qui monte redescend, et la descente qui se présentait à nous semblait hasardeuse, à travers une forêt, sur un sentier abrupt et rocailleux. Quoique ce sentier soit emprunté par nombre de pèlerins pressés d’atteindre Roncevaux après une si longue traversée, nous avons préféré la route longue, celle qui serpente plus doucement ce versant de la montagne.

Nous sommes arrivés à la collégiale royale de Roncevaux en fin d’après-midi. L’accueil n’ouvrait qu’une heure plus tard, la salle d’attente était déjà pleine à craquer; nous devions attendre dehors, avec bon nombre d’autres pèlerins fatigués, gelés, affamés et fort impatients.

* Lien vers le clip de Ginette Reno (1975) : Un peu plus haut, un peu plus loin
  Paroles et musique : Jean-Pierre Ferland

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire